Omnibus

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Tu sais, Alice, dès que tu as touché le bitume, j’ai senti que tu étais partie. Un de ces moments si intense, qu’il résonne sous tes pieds, vibre dans tes genoux, explose dans  ta tête.

Un enchaînement tellurique.

Arpenter tes souvenirs, ruelle étroite dans l’ombre du jour, m’a semblé un long voyage, entre Londres et Edimbourg. J’aurais aimé prendre le même train que toi.

Mais un omnibus qui  n’annonce pas les stations, pancartes bucoliques qui sentent bon les environs, ne souhaite pas être partagé. Seule une carte de tarot  sort à chaque halte, la faucheuse préparant sa récolte. Les semailles font suite aux jachères et si les coquelicots ont envahi les champs, ce sont d’innombrables broches accrochées aux coeurs qui saignent.

Premier arrêt dans une gare sans nom et tu te perds. Devantures baissées, personne. Ta boussole intérieure est cassée, comme une montre arrêtée sur des heures fatales.

Seul le terminus est annoncé. Et les graviers sur les rails s’incrustent sous ta peau, Chaque pas supplémentaire est plus douloureux que le précédent.

Tu as cherché un refuge, Alice.

Les bras maternels sont restés ancrés le long du corps immobile d’émotions. Il a fallu descendre à la prochaine station.

Le fossé entre deux individus est parfois si important qu’il faudrait une corde de 20 ans pour atteindre l’autre côté. Des liens de chanvre tissés in utero.

Comment aimer cette part de toi qui hurle à la première rencontre sous le feu des projecteurs. Ta mère, Alice, elle n’a pas su faire. On n’apprend pas ces choses là à celle qui porte.

On te bassine avec l’instinct, celui qui se réveille.

On t’impose des visions colorées,  tableaux d’une société parfaite et hideuse, qui cachent aux futures mères, la misère de l’inconnu.

Faire connaissance, s’apprivoiser, ça peut prendre une vie… Ou deux.

Or la tienne, Alice, elle a basculé au premier cri.

De l’autre côté du miroir, Alice, Le mensonge n’était pas raisonnable. Il a tenu bon, longtemps, surement.

Et puis, un aller-retour.

Une nouvelle explosion, rafales d’infos pas digérées, boîte à souvenirs Semtex et tu te défragmentes.

Dis, Alice, tu te souviens quand ta rébellion n’était qu’une illusion barbouillée d’acné, au caractère pimenté ? Maintenant c’est du lourd et tu n’as plus personne à qui te confier.

Alice, tu es seule.

Tu n’as peut-être pas vu que tu avais quitté le trottoir.

Personne n’a vu « Quand tu es parti« .

Quand tu es parti

Maggie O’Farrell

Editions Belfond

Playlist ; juste un air qui trotte dans ma tête, je ne sais plus son nom


4 réflexions sur “Omnibus

  1. Voilà donc une Alice qui ne semble pas nous conduire au pays de merveilles mais plutôt sur une terre d’émotions, de non-dits, de silences peut être. Dans une contre-allée de l’imaginaire…une contre-alice?

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