Les maux qui manquent

« Cette saloperie de virus à la maison, c’est comme lorsque tu fais un 44.
Y’a pas ta taille en rayon. T’es ni trop, ni pas assez.
T’es personne.

Reléguée en confinement, isolée, la Société préfère t’oublier pour ne pas te comptabiliser.
Tu fais pas partie des stats.
De toute façon, on teste que les comorbidités, les hospitalisés et les morts.
Estimes toi heureuse, tu fais pas partie de ces catégories.
T’es personne.

Vilipendée par la Bien Pensance, elle estime que puisque tu n’es pas sous respirateur ou morte, tu n’as pas à te plaindre. Ceux là, comme on peut pas ou plus les entendre, on peut faire preuve de compassion. Ils mangent plus de pain.
T’es personne.

Diagnostiquée par l’Environnement, pollué par les média, il devient négationniste des faits puisque t’as pas ce qu’on dit à la radio. « T’as de la fièvre ? » revient en écho.
Même si ton corps auditionne pour un monologue avec scénographie pyrotechnique, où tes bronches-racines hurlent le manque d’oxygène, où ton estomac dispense les cendres de ce brasier, où toucher tes cheveux revient à enfoncer un tison brûlant dans ta tête de bois.
T’as pas de fièvre.
T’es personne.

Paniquée par chaque goulée d’air, elles sont des cailloux qui s’empilent sur ton cairn intérieur. Il devient trop lourd et le terrain menace de s’effondrer.

Terrorisée par les doigts aimants qui se rappellent le numéro d’urgence. Ce 15, synonyme de départ sans billet de retour.
Les médias, les parleurs ont réussi à te faire peur.
Tu respires mal mais encore.
De quel droit irais-tu encombrer plus encore que tes poumons, ces urgences qui ne sont plus salvatrices.

Tu penses alors, je vais tenir.
Tu puises tellement profond que les larmes sont tes seules paroles pour éteindre cet incendie qui n’en finit plus depuis tant de jours.
T’es personne.

Aimée par ces voix protectrices, tu voudrais rester entre ces murs qui font parfois silence.
Tu guettes leurs mouvements, accrochés à tes quintes de toux, à la fêlure de ta voix. Derrière la cloison, elles portent l’espoir. Tu les sais patientes, très inquiètes, en colère parfois, inutiles pensent-elles à cet orage qui te ravage.
C’est pourtant dans leurs murmures réconfort que tu te calfeutres.

Éveillée par ces petits mots qui vibrent au quotidien, ceux qui attentionnés te retiennent sans fil.
Ton téléphone est un lien que tu voudrais tisser aux couleurs de ceux qui te sont chers. Un kaléidoscope en data-émotions.

Connectée toutes les 72h à ta Docteur, elle a mauvaise mine. Y’a pas de filtre contre la pénibilité. L’oreillette te fait mal. Tes oreilles explosent des non-dits, des non-sens. Les poches sous ses yeux sont lourdes d’impuissance.

Il paraît qu’on est en guerre, tu lui découvres un état-major absent. Elle sort sa seule arme dans une batterie vide de munitions, des soins infirmiers à domicile. Elle veut se rassurer sur ton état. Un écran ça prend pas les constantes.

Là encore la Bien pensance a bien œuvré. Tes nuits blanches deviennent noires de culpabilité.
D’autres vont mourir. Toi, tu respire mal mais tu respires
Un temps volé à d’autres, le danger de la transmission par toi…
Un déplacement ?
Juste pour moi ?

Mais je ne suis personne. »

5 avril


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